Peut-on négocier un contrat d’agent inhalé sans tenir compte de l’équipement?


Sophie Penfornis , Jean-François Bussières , B. Pharm., M.Sc., FCSHP , Sylvain Mathews , MD, FCRMCP

Au Canada, l’ensemble des fournitures et des médicaments utilisés en hôpital font l’objet d’appels d’offres publics sous l’égide de groupes d’achats (p. ex. HealthPro [www.healthprocanada.com], Medbuy [www.medbuy.ca], SigmaSanté). Ces appels d’offres sont publiés sur des plates-formes électroniques (p. ex. Se@o [https://www.seao.ca]) respectant le cadre général des accords de commerce internationaux. En vertu de ce cadre législatif, le pharmacien est le principal décideur et acheteur des médicaments utilisés en hôpital. Au Québec, le processus d’octroi est balisé par la Loi sur les contrats des organismes publics1. En ce qui concerne les ententes d’achats groupés portant sur les médicaments, chaque groupe d’achat utilise l’expertise d’un comité d’usagers composé de pharmaciens afin de choisir les produits et les fabricants2. En vertu de ce processus, l’organisme public adjuge le contrat au fournisseur qui a soumis le prix le plus bas. De plus, l’organisme public peut, dans la détermination du prix le plus bas, tenir compte du niveau de qualité afin d’ajuster les prix soumis. Cette évaluation de la qualité doit être fondée sur un minimum de trois critères requis pour l’atteinte d’un « niveau de performance acceptable » précisés aux documents d’appel d’offres3.

Par exemple, le comité des pharmaciens de SigmaSanté adjudique le contrat au plus bas soumissionnaire conforme. A priori, tous les médicaments détenant un avis de conformité de Santé Canada sont conformes. Toutefois, malgré cet avis, il arrive que certains produits ne soient pas conformes aux critères convenus (p. ex. étiquette non bilingue ou difficile à lire, conditionnement problématique). Les groupes d’achats signent des ententes à partir des quantités de médicaments déterminées. Les quantités déterminées par les membres sont le plus souvent basées sur l’historique de consommation antérieure et sur la planification des besoins futurs. Ces quantités ne sont données qu’à titre indicatif compte tenu de l’évolution des données probantes (un établissement n’est pas tenu d’acheter les quantités qu’il a déclarées s’il a des motifs raisonnables d’expliquer le recours à une entité générique distincte). De plus, la sélection d’une entité générique (p. ex. préférer le desflurane au sévoflurane pour une indication donnée) au sein d’un hôpital relève du comité de pharmacologie de l’hôpital plutôt que du comité d’usagers du groupe d’achats. Bien que le comité d’usagers du groupe d’achat soit formé de pharmaciens d’établissement, la responsabilité juridique de la tenue de la liste de médicaments d’un établissement en particulier revient au comité de pharmacologie de cet établissement, qui peut tenir compte de l’efficacité, de l’innocuité et des aspects pharmacoéconomiques et pratiques. Ainsi, le partage du marché entre plusieurs entités génériques distinctes se fait préalablement à l’appel d’offre. De même, la représentation pharmaceutique effectuée par les fabricants de médicaments cible au préalable les décideurs (p. ex. pharmaciens, médecins) dans les hôpitaux afin de positionner favorablement les thérapies émergentes et existantes.

Les agents inhalés (p. ex. isoflurane, sévoflurane, desflurane) posent un défi particulier en achats groupés. Dans le cas de SigmaSanté, qui représente une centaine d’hôpitaux pour des achats groupés annuels de médicaments d’environ 250 M$, les agents inhalés représentent 1% de cet octroi. L’isoflurane est commercialisé par plusieurs fabricants (Abbott, Baxter, Pharmaceutical Partners of Canada), le desflurane n’est commercialisé que par un fabricant (Baxter) tandis que le sévoflurane est commercialisé par deux fabricants (Abbott, Baxter). À noter que le sévoflurane (Abbott) comporte un flacon avec bouchon en circuit fermé, limitant les risques d’exposition professionnelle, au Canada mais pas aux Etats-Unis, tandis que le sévolurane (Baxter) tant au Canada qu’aux États-Unis requiert l’ajout manuel d’un bouchon pour sa fixation à l’évaporateur. Actuellement, le contrat médicaments de SigmaSanté n’inclut pas d’équipements et ces octrois sont laissés aux hôpitaux locaux. La situation peut différer pour d’autres groupes à l’échelle du pays.

L’administration d’un agent inhalé requiert un évaporateur. Il existe plusieurs types d’évaporateurs sur le marché. Certains évaporateurs permettent l’administration de plusieurs agents inhalés (p. ex. Tec7, GE Healthcare) tandis que d’autres sont spécifiques à un agent (p. ex. Tec6plus, GE Healthcare, pour le desflurane, qui doit être chauffé). Les fabricants qui désirent positionner favorablement leurs molécules peuvent proposer aux hôpitaux des ententes de location ou de vente d’évaporateurs à prix très avantageux afin de faciliter l’utilisation de leurs agents inhalés. Historiquement, ces ententes ont souvent été signées avec le service des approvisionnements, sans forcément impliquer les pharmaciens hospitaliers. Si l’adjudication de médicaments est généralement indépendante des équipements, les ententes portant sur les évaporateurs peuvent limiter la capacité des hôpitaux de retourner en appel d’offres pour les agents inhalés.

Afin d’assurer au réseau de la santé une utilisation optimale des ressources, nous pensons que l’analyse des offres d’agents inhalés doit se faire dans le cadre d’une entente distincte des autres médicaments pour une durée de contrat optimale. Si l’entente médicaments de SigmaSanté est généralement de trois ans, faut-il envisager une entente d’une durée plus longue lorsqu’on inclut des équipements? Tout remplacement d’équipements comporte des enjeux de gestion, de calibration, de formation, qui ont des conséquences sur les coûts et la prestation sécuritaire de soins. Dans le cas des agents inhalés et des évaporateurs, ils s’arriment à des tables d’anesthésie dont la durée de vie peut dépasser celle des évaporateurs. Les contrats d’achats groupés de médicaments ne comportent généralement pas de quantités fermes de médicaments, étant donné que leur utilisation doit être fondée sur les données probantes et non sur des quantités résiduelles contractuelles. Toute entente visant des équipements ne devrait jamais lier les cliniciens à acheter des quantités données de médicaments. En outre, la signature d’ententes parallèles (c.-à-d. médicaments c. équipements, lorsque cela est applicable) devrait être évitée au profit d’une entente unique. Enfin, toute entente de biens ayant des conséquences sur l’utilisation des médicaments en hôpital devrait être aussi du ressort du chef du département de pharmacie ou de son mandataire pharmacien ainsi que des médecins concernés (p. ex. anesthésistes).

References

1.  Loi sur les contrats des organismes publics. L.R.Q., chapitre C-65.1. Publié au : www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_65_1/C65_1.html. Consulté le 14 février 2011.

2.  Bussières JF, Lussier-Labelle F, Labelle B. Perspectives sur les achats groupés de médicaments en établissements de santé. Ruptures 2005; 10(1):21–38.

3.  Règlement sur les contrats d’approvisionnement des organismes publics. c. C-65.1, r. 4. Publié au : www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/C_65_1/C65_1R4.HTM. Consulté le 14 février 2011.


Interne en pharmacie, Assistante de recherche, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, CHU Sainte-Justine, Montréal (Québec)
Chef, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, CHU Sainte-Justine, Montréal (Québec)
Chef, Département d’anesthésie, CHU Sainte-Justine, Montréal (Québec)

Jean-François Bussières est aussi chef du Département de pharmacie au CHU Sainte-Justine et professeur titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal.

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Canadian Journal of Hospital Pharmacy , VOLUME 64 , NUMBER 4 , July-August 2011