Charlotte Maurin, Suzanne Atkinson, Linda Hamouche et Jean-François BussièresComment citer cet article: Maurin C, Atkinson S, Hamouche L, Bussières JF. Ratios d’incidents et d’accidents totaux et médicamenteux par 1000 jours-présence en établissement de santé au Québec: une étude exploratoire. Can J Hosp Pharm. 2024;77(2):e3497. doi: 10.4212/cjhp.3497
RÉSUMÉ
Contexte
Au Québec, la déclaration de tous les incidents et accidents (IA) en établissement de santé est obligatoire depuis 2002. Depuis 2011, un rapport synthèse de ces IA est publié chaque année. Il est toutefois difficile de comparer les établissements de santé entre eux, sachant qu’aucun dénominateur n’est proposé et qu’aucun ratio n’est calculé.
Objectif
L’objectif principal est de calculer les ratios d’IAT (incidents et accidents totaux) et d’IAM (incidents et accidents médicamenteux) par 1000 jours-présence (JP) par mission pour tous les établissements de santé du Québec.
Méthodologie
Cette étude descriptive et rétrospective incluait les données extraites sur la période entre le 1er avril 2016 et le 31 mars 2021. Les données ont été extraites du Registre national des incidents et accidents survenus lors de la prestation des soins et services de santé au Québec et de rapports financiers. Les ratios d’IAT/1000 JP et d’IAM/1000 JP moyen ± écart-type et médian [minimum; maximum] ont été calculés.
Résultats
Au total, 85 établissements/installations de santé comportaient des données exploitables, soit 33 de courte durée, 45 de longue durée et 7 de réadaptation. Le ratio moyen d’IAT/1000 JP variait de 33 ± 19 à 38 ± 22 en courte durée, de 14 ± 5 à 16 ± 7 en longue durée et de 99 ± 39 à 147 ± 55 en réadaptation. Le ratio moyen d’IAM/1000 JP variait de 11 ± 7 à 12 ± 7 en courte durée, de 3 ± 2 à 4 ± 3 en longue durée et de 24 ± 10 à 40 ± 21 en réadaptation.
Conclusions
Cette étude exploratoire démontre la faisabilité de calculer des ratios d’IA à partir du Registre national des incidents et accidents survenus lors de la prestation des soins et services de santé au Québec. Ils permettent de commenter l’évolution et la culture de déclaration des IA au sein du réseau de la santé. Il serait souhaitable que ces ratios soient ajoutés aux prochains rapports annuels québécois.
Mots-clés: établissement de santé, incidents, accidents, erreurs médicamenteuses
ABSTRACT
Background
Since 2022, it has been mandatory in Québec to report all incidents and accidents (I&As) occurring in health-care facilities. Since 2011, a summary report of these I&As has been published each year. However, it is difficult to compare health facilities given that no denominator is specified and ratios are not calculated.
Objective
The primary objective was to calculate the ratios of total I&As and medication-related I&As per 1000 inpatient-days per type of facility for all health-care facilities in Québec.
Methods
This retrospective descriptive study was based on data from the period of April 1, 2016, to March 31, 2021. Data were extracted from the National Register of Incidents and Accidents Occurring during the Provision of Health Care and Social Services in Québec (Registre national des incidents et accidents survenus lors de la prestation des soins et services de santé au Québec) and financial reports. The ratios of total I&As/1000 inpatient-days and medication-related I&As/1000 inpatient-days, expressed as the mean ± standard deviation and median [minimum; maximum], were calculated.
Results
A total of 85 health-care facilities had usable data, specifically 33 acute-care facilities, 45 long-term care facilities, and 7 rehabilitation facilities. The mean ratio for total I&As/1000 inpatient-days varied from 33 ± 19 to 38 ± 22 in acute-care facilities, from 14 ± 5 to 16 ± 7 in long-term care facilities, and from 99 ± 39 to 147 ± 55 in rehabilitation facilities. The mean ratio for medication-related I&As/1000 inpatient-days varied from 11 ± 7 to 12 ± 7 in acute care facilities, from 3 ± 2 to 4 ± 3 in long-term care facilities, and from 24 ± 10 to 40 ± 21 in rehabilitation facilities.
Conclusions
This exploratory study demonstrated the feasibility of calculating I&A ratios from the National Register of Incidents and Accidents Occurring during the Provision of Health Care and Social Services in Québec. These ratios facilitate discussion of the reporting culture of I&As within the health-care system. It is hoped that these ratios will be added to future annual reports from the Québec I&A register.
Keywords: health-care facility, incidents, accidents, medication errors
Prodiguer des soins en établissement de santé est complexe, implique de nombreux intervenants, repose sur des processus variés et comporte des risques de survenue d’événements indésirables. De façon générale, un profil de tous les événements indésirables survenus en établissement de santé comprend l’ensemble des effets indésirables observés (p. ex., chute, effet indésirable associé à l’utilisation d’un médicament ou d’un instrument) ainsi que l’ensemble des erreurs médicamenteuses évitables ou non1. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les erreurs médicamenteuses sont associées à la survenue d’au moins un décès par jour aux États-Unis et touchent environ 1,3 millions d’Américains2. En 2017, l’OMS a lancé une initiative visant à réduire de 50 % les erreurs médicamenteuses d’ici cinq ans2. Le National Coordinating Council for Medication Error Reporting and Prevention (NCCMERP) définit une erreur médicamenteuse comme étant « tout événement évitable qui peut causer ou entraîner une utilisation inappropriée d’un médicament ou un préjudice pour le patient alors que le médicament est sous le contrôle du professionnel de la santé, du patient ou du consommateur. Ces événements peuvent être liés à la pratique professionnelle, aux produits, aux procédures et aux systèmes de soins de santé, y compris la prescription, la communication des commandes, l’étiquetage, l’emballage et la nomenclature des produits, la préparation, la distribution, l’administration, l’éducation, la surveillance et l’utilisation »3. Une erreur médicamenteuse comporte neuf catégories, décrites d’une lettre allant de A à I4.
Certaines entités juridiques encadrent la déclaration des erreurs médicamenteuses. Au Québec, la déclaration des erreurs médicamenteuses (nommées incident ou accident selon le type) survenues en établissement de santé est obligatoire depuis 20025–7. Un incident est une « action ou situation qui n’entraîne pas de conséquence sur l’état de santé ou le bien-être d’un usager (…), mais dont le résultat est inhabituel et qui, en d’autres occasions, pourraient entraîner des conséquences ». Un accident est une « action ou situation où le risque se réalise et est, ou pourrait être, à l’origine de conséquences sur l’état de santé ou le bien-être de l’usager (…) »6.
Depuis 2011, le ministère de la santé et des services sociaux (MSSS) du Québec publie un rapport synthèse de tous les incidents et accidents (IA) déclarés par les établissements de santé5. Le rapport synthèse présente les données brutes pour l’ensemble du Québec et par établissement de santé5. Il est toutefois difficile de comparer les établissements de santé entre eux, sachant qu’aucun dénominateur n’est proposé et qu’aucun ratio n’est calculé5. Les données nationales publiées par l’Institut canadien d’information sur la santé ne comprennent pas de données par établissement et les données québécoises en sont exclues. Afin de faciliter l’interprétation de ces données par les décideurs en santé, nous avons exploré la possibilité de calculer un ratio d’IA par volume d’activités.
Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective.
L’objectif principal de cette étude était de calculer les ratios d’IA totaux (IAT) et d’IA médicamenteux (IAM) par 1000 jours-présence (JP) par mission (c.-à-d. soins de courte durée (CD), soins de longue durée (LD), réadaptation (CR)) pour tous les établissements de santé du Québec. L’étude ciblait la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2021. La période ciblée tient compte des données disponibles et de la réorganisation du réseau de la santé au 1er avril 2015 ayant mené à la fusion de 182 établissements de santé pour en faire 34. Un établissement de santé comporte presque toujours plusieurs installations. Une installation cible généralement une mission.
À partir des rapports synthèse du Registre national des incidents et accidents survenus lors de la prestation des soins et services de santé au Québec, nous avons extrait le nombre d’IAT et le nombre d’IAM par établissement de santé et par mission (CD, LD, CR) au sein de cet établissement de santé8–12. Le rapport est disponible en format PDF.
À partir des rapports financiers annuels de tous les établissements de santé du Québec (rapports AS-471), nous avons extrait manuellement le nombre de JP par établissement de santé et par mission13–17. Les rapports financiers sont disponibles en format XLS. Le nombre de JP par mission (colonne K) est rapporté à la ligne 25 de la page 650 du fichier consolidé de tous les établissements de santé. Un jour-présence correspond à un lit occupé par un usager durant une journée. La page 650 du rapport financier fait référence notamment aux activités du département de pharmacie et chaque mission est associée à un sous-centre d’activités (CD – 6804, LD – 6805 et CR – 6801). Dans le cas de la mission de réadaptation, nous avons regroupé les JP de centres de réadaptation en dépendance (CRD), de centres de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) et centres de réadaptation en déficience physique (CRDP). Ont été inclus tous les établissements de santé et leurs installations comportant des données disponibles pour les cinq exercices financiers ciblés.
L’ensemble des données extraites ont été saisies manuellement dans un tableur (Excel, Microsoft) et 24 % (312/1275) des données ont été repointées par un deuxième assistant de recherche. Les données saisies comprennent le nom de l’établissement, son numéro d’identification, l’exercice financier applicable, la mission (CD, LD, CR), le nombre d’IAT, le nombre d’IAM et le nombre de JP applicables.
Afin de décrire la proportion des IAM, nous avons calculé le pourcentage du nombre d’IAM sur le nombre d’IAT pour les établissements/installations comprises dans l’étude. La proportion de l’ensemble des accidents et des accidents de gravité G, H et I par rapport au nombre total d’IAT a été calculée pour les données d’IA issues du registre national.
Par la suite, des ratios d’IAT et d’IAM par 1000 JP ont été calculés par exercice financier (soit, 2016–2017, 2017–2018, 2018–2019, 2019–2020 et 2020–2021) et par mission (CD, LD, CR) de chaque établissement de santé/installation. Pour la mission de courte durée, des ratios du nombre d’IAM par 1000 JP et par type d’établissement (centre hospitalier universitaire (CHU), centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS), centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS)) ont été calculés.
À partir des données détaillées, nous avons calculé le ratio moyen d’IAT/1000 JP et d’IAM/1000 JP ± écart-type et le ratio médian [minimum; maximum] par mission pour les établissements de santé ou installations compris dans l’étude.
Seules des statistiques descriptives ont été effectuées (c.-à-d. moyenne, écart-type, médiane).
Au 31 mars 2021, le Québec comptait 144 établissements de santé publics et privés répartis en 18 régions12. Dans chaque rapport annuel sur les IA, on précise le nombre d’établissements de santé publics et privés ainsi que ceux inclus dans le rapport (ce nombre varie de 136 à 140 selon l’année). Au 31 mars 2021, le Québec comptait 1539 installations18. Un établissement peut comprendre des installations ayant une mission de courte durée (CH ou centre hospitalier), de longue durée (CHSLD ou centre hospitalier de soins de longue durée), de réadaptation (CR ou centre de réadaptation), de service de première ligne (CLSC) ou de protection de la jeunesse (CJ – Centre jeunesse, remplacé par CPEJ – Centre de protection de l’enfance et de la jeunesse le 1er avril 2021)19.
Le tableau 1 présente le nombre d’IAT et d’IAM recensés dans le registre national des IA pour chaque année financière du 1er avril 2016 au 31 mars 2021 ainsi que la proportion du nombre d’IAM par rapport au nombre d’IAT pour les établissements et installations compris.
TABLEAU 1 Nombre d’IAT et d’IAM recensés dans le registre national des incidents et accidents pour chaque année financière du 1er avril 2016 au 31 mars 2021
De tous ces événements, les accidents (soit, de gravité C à I) représentaient 86,95 % (2 135 098/2 455 683) des IAT, soit 86,91 % (437 570/503 447) en 2016–2017, 85,36 % (438 195/513 357) en 2017–2018, 85,84 % (429 619/500 502) en 2018–2019, 88,02 % (436 286/495 652) en 2019–2020, 88,87 % (393 428/442 725) en 2020–2021.
De tous ces événements, les IAT de gravité G-H-I représentaient 0,16 % (4053/2 455 683) des IAT, soit 0,14 % (701/503 447) en 2016–2017, 0,14 % (738/513 357) en 2017–2018, 0,16 % (793/500 502) en 2018–2019 et 0,18 % (892/495 652) en 2019–2020 et 0,21 % (929/442 725) en 2020–2021.
Du 1er avril 2016 au 31 mars 2021, nous avons été en mesure d’identifier 85 installations de santé comportant des données exploitables d’IAT, d’IAM et de JP pour la période d’étude, soit 33 de courte durée, 45 de longue durée et 7 de réadaptation. À partir des rapports issus du registre national, les données des établissements et des installations compris dans notre étude représentaient 94,6 % (967 827/1 023 066) des IAT de tous les établissements de CD, 80,0 % (885 228/1 106 478) des IAT de tous les établissements de LD et 36,4 % (41 585/114 208) des IAT de tous les établissements de CR.
Du 1er avril 2016 au 31 mars 2021, nos données recensaient un total de 1 894 640 IAT, soit 398 480 en 2016–2017, 393 965 en 2017–2018, 383 512 en 2018–2019, 380 081 en 2019–2020 et 338 602 en 2020–2021. Ces données provenaient de 85 installations. De tous ces événements, les IAM représentaient 26,9 % (510 122/1 894 640) des IAT, soit 27,6 % (109 934/398 480) en 2016–2017, 27,4 % (107 982/393 965) en 2017–2018, 27,2 % (104 459/383 512) en 2018–2019, 26,8 % (101 954/380 081) en 2019–2020 et 25,3 % (85 793/338 602) en 2020–2021.
Le ratio moyen d’IAT par 1000 JP variait de 33 ± 19 à 38 ± 22 en CD, de 14 ± 5 à 16 ± 7 en LD et de 99 ± 39 à 147 ± 55 en CR. Le tableau 2 présente un profil du ratio du nombre d’IAT par 1000 JP et par mission du 1er avril 2016 au 31 mars 2021.
TABLEAU 2 Ratios d’IAT par 1000 JP selon la mission, du 1er avril 2016 au 31 mars 2021
Le ratio moyen d’IAM par 1000 JP variait de 11 ± 7 à 12 ± 7 en courte durée, de 3 ± 2 à 4 ± 3 en longue durée et de 24 ± 10 à 40 ± 21 en réadaptation. Le tableau 3 présente un profil du ratio du nombre d’IAM par 1000 JP par mission du 1er avril 2016 au 31 mars 2021.
TABLEAU 3 Ratios d’IAM par 1000 JP selon la mission, du 1er avril 2016 au 31 mars 2021
Des 33 établissements de santé de courte durée, 8 étaient des centres hospitaliers universitaires ou des instituts universitaires, 8 des CIUSSS et 17 des CISSS. Le ratio moyen d’IAM par 1000 JP variait de 10 ± 6 à 11 ± 6 en CHU et instituts, de 7 ± 4 à 9 ± 6 en CIUSSS et de 13 ± 7 à 14 ± 7 en CISSS. Le tableau 4 présente un profil du ratio du nombre d’IAM par 1000 JP par type d’établissement en courte durée du 1er avril 2016 au 31 mars 2021.
TABLEAU 4 Profil du ratio du nombre d’IAM par 1000 JP par type d’établissement en courte durée, du 1er avril 2016 au 31 mars 2021
Le profil du ratio du nombre d’IAT et d’IAM par 1000 JP par mission et par établissement de santé du 1er avril 2016 au 31 mars 2021 est présenté dans le matériel supplémentaire disponible à https://www.cjhp-online.ca/index.php/cjhp/article/view/3497/.
À notre connaissance, il s’agit de la première étude établissant un ratio du nombre d’IAT et d’IAM par 1000 JP en établissement de santé au Canada.
De nombreux termes sont utilisés pour qualifier les IA, notamment adverse event, adverse drug event, adverse drug reaction, drug misadventure, medication error, incident, accident. Le recours à tous ces termes rend les comparaisons difficiles et risquées. Ces termes peuvent inclure, selon les auteurs, à la fois des IA et des réactions indésirables aux médicaments. Dans le cas des IA, il s’agit d’un événement qui comporte un écart par rapport à la pratique attendue. Les réactions indésirables aux médicaments, quant à elles, se rapportent à un événement, prévisible ou non, qui est lié à la pharmacologie du médicament utilisé, du contexte clinique et de la réponse du patient. De plus, toutes les instances n’ont pas forcément recours à la taxonomie du NCCMERP. La multiplicité des termes utilisés rend plus difficile la comparaison avec les ratios publiés dans la littérature.
Cano et Rozenfeld ont mené une revue systématique sur les IA en établissement de santé en 200920. Parmi les 29 études recensées, les auteurs ont calculé une incidence de 2 à 52 IA par 100 admissions. Bien que notre étude s’intéresse à un ratio d’IA/JP, nous avons tenté de nous comparer à ces données. En extrapolant ces données à une durée moyenne de séjour de 7 JP par admission, on obtient un ratio d’IA/1000 JP qui varie de 2,8 à 74,3. Cette revue systématique confirme l’hétérogénéité des données publiées. Boeker et al. ont mené une revue systématique des accidents médicamenteux (AM) nécessitant une intervention médicale auprès de patients dans des unités de chirurgie en 201321. MacFie et al. ont mené une revue narrative des IAM en soins intensifs en 2016. Des 40 études incluses, l’incidence des IAM variait de 5,1 à 967 par 1000 JP22. Toutefois, en ne tenant compte que des IAM comportant des conséquences pour les patients, l’incidence était de 1 à 96,5 par 1000 JP. Gates et al. ont effectué une revue systématique des AM en 201823. Parmi les 22 études incluses provenant d’hôpitaux pédiatriques, l’incidence des AM par 1000 JP variait de 0 à 17 pour les unités de soins de pédiatrie et de 0 à 29 pour les unités de soins intensifs pédiatriques. Alghamdi et al. ont effectué une revue systématique sur les AM en 201924. Parmi les 35 études incluses provenant d’unités de soins de pédiatrie et de néonatologie, l’incidence des AM par 1000 JP variait de 6,4 à 9,1 en soins intensifs pédiatriques et de 4 à 35,1 en soins intensifs néonataux. En s’intéressant aux événements évitables, l’incidence était de 21 à 29 par 1000 JP en soins intensifs pédiatriques et de 0,47 à 14,4 par 1000 JP en soins intensifs néonataux. Les ratios d’IAM par 1000 JP calculés au Québec sont compatibles avec ces larges intervalles de ratios observés dans la littérature. Toutefois, la variabilité des méthodes d’identification des IA (rétrospectives, prospectives et mixtes), des définitions (AM, IAM, IA, notions d’évitabilité et de conséquence) et des différents secteurs de soins examinés dans les différentes études limite la comparaison.
De façon générale, les ratios moyens calculés varient davantage en réadaptation qu’en courte durée et en longue durée durant la période d’étude (cinq ans). Ainsi, le ratio d’IAT par 1000 JP varie de 33 à 38 en CD et de 14 à 16 en LD mais de 99 à 147 en CR. De même, le ratio d’IAM par 1000 JP varie de 11 à 12 en CD et de 3 à 4 en LD, contre une variation de 24 à 40 en CR. Notre étude ne permet pas d’expliquer avec certitude les causes de cette variation plus importante en réadaptation. À notre connaissance, il n’y a pas eu d’interventions, à l’échelle du réseau de la santé, susceptibles d’influencer la déclaration des IA en réadaptation. Toutefois, le faible nombre de CR inclus (n= 7) peut mettre davantage en évidence l’hétérogénéité des données recueillies. De plus, la pandémie de la COVID-19 déclarée en mars 2020 peut expliquer possiblement une partie de la variation à la baisse de déclarations d’IAT et d’IAM en 2020–2021, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale, en réadaptation comme en CD et LD.
De façon générale, les ratios moyens calculés comportent une distribution a priori normale comportant des écarts-types inférieurs aux moyennes. Toutefois, en examinant les données par établissement ou par installation, on observe des variations importantes.
Par exemple, en prenant les centres hospitaliers et instituts universitaires (pour l’activité de CD) qui partagent la même mission, on observe des différences et des similitudes. En ce qui concerne le ratio d’IAT par 1000 JP, il est plus élevé au CHU Sainte-Justine (de 50 à 62) et à l’Institut de cardiologie de Montréal (de 43 à 79) que dans les autres CHU et instituts (de 5 à 42); quant au ratio d’IAM par 1000 JP, il est similaire entre le CHU Sainte-Justine et la plupart des autres établissements de son groupe (de 12 à 21) à l’exception du CUSM et du CHUM (de 3 à 8). En considérant tous les établissements de CD, on observe la même hétérogénéité. Fait étonnant, quelques établissements ont de très faibles ratios (p. ex., le CIUSSS du Centre-Ouest de l’Île de Montréal, de 0 à 1 IAM par 1000 JP, et le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île de Montréal, de à 2 à 4 IAM par 1000 JP).
La part des IAT qui constitue des IAM varie également. La culture de déclaration repose sur plusieurs intervenants et l’importance accordée à la déclaration des IAT ou des IAM peut varier d’un établissement à l’autre, notamment l’implication de l’équipe de la pharmacie. Weaver et al. ont mené une revue systématique sur la culture de sécurité des soins25. Les auteurs notent que le développement d’une culture de la sécurité est au cœur de nombreux efforts visant à améliorer la sécurité des patients et la qualité des soins. La déclaration des IA fait partie de cette culture.
Notre étude met en évidence des ratios d’IAT par 1000 JP au moins trois fois plus élevés en CR (99 ± 39 à 147 ± 55) qu’en CD (33 ± 19 à 38 ± 22) et au moins six fois plus élevé qu’en LD (14 ± 5 à 16 ± 7). La même tendance s’observe également pour les ratios d’IAM par 1000 JP. Notre étude ne permet pas d’expliquer les causes de cette propension plus élevée à déclarer des événements en CR. En ce qui concerne les médicaments, les patients admis en CD sont généralement plus exposés aux risques d’IAM compte tenu d’un recours accru à la voie parentérale, à l’utilisation de technologies et de pompes, aux changements nombreux de médicaments, de doses et de voies durant un séjour hospitalier ainsi qu’au recours à des thérapies plus complexes. Pourtant, ils présentent des ratios moins élevés qu’en CR. Un échantillon plus grand d’établissements de la mission CR devrait être envisagé dans des travaux futurs.
Que peut-on tirer de ces ratios et de leur comparaison?
À notre avis, ces données doivent avant tout servir à illustrer la culture de sécurité de l’établissement. Dans le réseau de santé québécois, cette culture de sécurité est influencée par les obligations légales (p. ex., l’obligation de déclarer les IA, l’obligation de mise en place d’un comité de gestion des risques et des ressources dédiées à ces tâches) mais encore davantage par la gouvernance de l’établissement et la culture de sécurité. Notre étude ne permet pas de comparer la dotation en ressources humaines au sein des directions de gestion des risques et de la qualité.
Une équipe de direction qui cherche à développer une culture de sécurité et une culture juste (c.-à-d. où les soignants ne sont pas punis pour leurs actions, leurs omissions ou leurs décisions) au sein de son établissement doit notamment identifier les facilitateurs et les barrières. Dans une revue systématique, Mahmoud et al. ont cerné des facteurs facilitant l’apprentissage en matière de sécurité des soins et d’une culture de sécurité: la formation continue, l’équilibre entre l’imputabilité et la responsabilité, des leaders comme modèles, le signalement anonyme, des systèmes conviviaux, des équipes d’analyse bien structurées, des améliorations matérielles26. Van Marum et al. ont également recensé les barrières et les facilitateurs à la mise en place d’une culture juste au sein de l’établissement27. Notre étude propose, pour la première fois au Québec, des ratios d’IAT et d’IAM par 1000 JP globaux et par établissement qui peuvent alimenter les comparaisons et les discussions au sein de chaque établissement. Les variations mises en évidence peuvent interpeller les intervenants sur la culture de déclaration propre à chacun.
Outre la culture de sécurité et de déclaration des IA propre à chaque établissement, les ratios calculés mettent également en évidence les risques potentiels (c.-à-d. liés aux incidents) et réels (liés aux accidents) mesurés par établissement. De nombreux facteurs augmentent les risques d’IA en établissement de santé, notamment le bâtiment et les aménagements, l’équipement, la trajectoire du patient, les processus de soins et les interventions, les médicaments, le climat de travail et le stress vécu, la gouvernance, etc.
Ainsi, un ratio d’IAT ou d’IAM par 1000 JP plus élevé témoigne sans doute de la culture de sécurité et de déclaration des IA, mais également de l’ensemble des risques réels au sein de chaque établissement.
Il est sans doute souhaitable d’inscrire le ratio d’IAT et d’IAM par 1000 JP au tableau de bord de chaque établissement, tant pour le conseil d’administration, que pour les équipes de gestion et les soignants. Le tableau de bord devrait également comporter le nombre absolu d’IA plus graves (p. ex., de F à I). Toutefois, il faut éviter d’en faire un indicateur de performance, au sens où les ratios moins élevés sont valorisés. Il faut davantage en faire un indicateur de culture de sécurité et encourager le personnel à déclarer les IA et à en discuter au quotidien. Il faut également que l’équipe de gestion des risques utilise ces déclarations pour repérer les événements sentinelles et les risques les plus importants, afin d’envisager des mesures correctives et des initiatives d’amélioration.
Bien que le Québec ait fait preuve de leadership en mettant en place cette exigence de déclaration des IA depuis 2002, il n’existe pas d’études permettant de confirmer le nombre réel absolu d’IAT et d’IAM en établissement de santé. Ainsi, les nombres d’IA rapportés représentent une partie de la réalité et du risque propre à chaque établissement. De plus, chaque année, un certain nombre de déclarations sont exclues des rapports du MSSS compte tenu des exigences de documentation. Par exemple, en 2020–2021, 12 375 déclarations (2,7 %) ont été exclues du rapport du MSSS car elles étaient incomplètes.
À l’avenir, il serait intéressant que ces ratios soient intégrés au rapport synthèse publié chaque année par le MSSS. D’autres travaux pourraient permettre d’explorer les similitudes et les différences avec les données du Système national de déclaration des accidents et incidents28.
Toutes les données disponibles ont été exploitées et aucune donnée n’a été exclue. D’autres travaux pourraient permettre d’explorer certaines données aberrantes fournies par les établissements de santé. La saisie manuelle des données à partir des rapports d’IA et des rapports financiers peut introduire des erreurs. Les données d’IAT et d’IAM rapportées par les établissements comprennent des événements survenus en ambulatoire (urgence, cliniques externes). Ainsi, les ratios calculés comportent au numérateur une certaine proportion d’IAT et d’IAM qui ne sont pas en lien avec le nombre de JP, liés aux séjours hospitaliers. Notre approche constitue une approximation de ratios calculables. Les rapports du MSSS ne présentent pas le profil de gravité par établissement de santé. Une analyse des événements comportant davantage de conséquences (p. ex., de F à I) pourrait accroître la pertinence des ratios présentés. En outre, notre étude repose sur les données telles que produites par le MSSS, tant pour les IA que pour les volumes d’activités. Comme il s’agit d’une première exploration de ces ratios, nous n’avons pas d’autres données québécoises aux fins de comparaison. Enfin, la déclaration repose sur la culture de déclaration et la disponibilité du personnel soignant pour faire les déclarations. Notre étude ne tient pas compte des effectifs en place et des ratios du personnel soignant par patient qui pourraient expliquer certaines différences.
Cette étude exploratoire démontre qu’il est possible de calculer des ratios d’IAT et d’IAM par 1000 JP à partir du registre national des incidents et accidents au Québec et des rapports financiers. Ces ratios permettent de commenter l’évolution des déclarations et la culture de déclaration des IA au sein du réseau de la santé. Il serait souhaitable que ces ratios soient ajoutés aux prochains rapports annuels québécois.
1 Zhu J, Weingart SN. Prevention of adverse drug events in hospitals. UpToDate Inc.; S.d. [consulté le 28 avril 2023]. Disponible à: https://www.uptodate.com/contents/prevention-of-adverse-drug-events-in-hospitals
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Adresse de correspondance: Jean-François Bussières, CHU Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte Sainte-Catherine, Montréal QC H3T 1C5, Courriel: jean-francois.bussieres.hsj@ssss.gouv.qc.ca
Nota: Le matériel supplémentaire associé à cet article est disponible à l’adresse https://www.cjhp-online.ca/index.php/cjhp/article/view/3497/
Conflits d’intérêts: Aucun déclaré.
Financement: Aucun reçu.
Soumis: 1er mai 2023
Accepté: 16 septembre 2023
Publié: 10 avril 2024
© 2024 Canadian Society of Hospital Pharmacists | Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux
Canadian Journal of Hospital Pharmacy, VOLUME 77, NUMBER 2, 2024