L’avenir de la pratique de la pharmacie hospitalière : Voies vers la pratique indépendante de la pharmacie clinique


Jonathan Penm

DOI: https://doi.org/10.4212/cjhp. 3539


La COVID-19 a mis à rude épreuve les systèmes de santé et a exacerbé les problèmes dans des domaines déjà sous pression. Pour soulager cette pression, les systèmes de santé cherchent des moyens d’élargir le champ de pratique des pharmaciens. Une approche possible consisterait à augmenter à la fois l’utilisation de la prescription par les pharmaciens et le nombre de pharmaciens cliniciens indépendants. Bien que la prescription par les pharmaciens soit courante dans certaines provinces depuis plus d’une décennie1, ce n’est que récemment qu’elle a été mise en œuvre ailleurs au pays, comme en Ontario2. À l’échelle internationale, l’Australie a également récemment adopté la prescription de médicaments par les pharmaciens pour des affections mineures (p. ex., les infections des voies urinaires)3. L’utilisation de ces compétences est plus courante chez les pharmaciens en milieu communautaire et ambulatoire et ces rôles ont été moins adoptés dans le cadre de la pharmacie hospitalière. En conséquence, l’élargissement du champ d’exercice de la profession de pharmacien semble moins évident en milieu hospitalier qu’en milieu communautaire ou ambulatoire4.

Dans ce numéro, Almawed et al.5 rendent compte de la proportion de patients pour lesquels les pharmaciens hospitaliers titulaires d’une autorisation supplémentaire de prescrire prescrivent au moment du congé. La prescription au moment du congé de l’hôpital par les pharmaciens hospitaliers est un concept assez nouveau. Selon un récent essai randomisé dans un service de médecine gériatrique australien, le nombre de patients ayant subi au moins une erreur de médication au moment du congé était moins élevé lorsque les pharmaciens prescrivaient les médicaments que lorsque ceux-ci étaient prescrits par des médecins, dans les deux cas à l’aide d’ordonnances manuscrites (29 % contre 95 %, p < 0,0002)6. Un avantage similaire quoique plus faible a été observé avec les prescriptions numériques (62 % contre 100 %, p = 0,005)6. Compte tenu de ces avantages, Almawed et al. ont mené une enquête transversale en ligne auprès de pharmaciens hospitaliers titulaires d’une autorisation supplémentaire de prescrire en se penchant tout particulièrement sur leurs activités au moment du congé. Les auteurs ont constaté que moins de la moitié de ces pharmaciens prescrivaient au moment du congé. Ils ont également identifié les trois principaux facteurs propices pour que les pharmaciens prescrivent au moment du congé : le soutien de l’équipe de soins (71,4 %), la compétence dans le domaine de pratique particulier (54,9 %) et le souhait de fournir des soins plus efficaces (51,6 %)5. D’après ces résultats, il semble que l’environnement externe, y compris la disponibilité du soutien, soit perçu comme ayant une plus grande influence sur la prescription de médicaments par les pharmaciens au moment du congé que les facteurs de motivation internes.

Dans ce numéro également, Parmar et al.7 se penchent sur le degré de confort des pharmaciens en matière de prescription ainsi que la voie à suivre pour devenir pharmacien clinicien indépendant. Ces auteurs définissent le pharmacien clinicien comme un expert en pharmacothérapie qui exerce de manière indépendante dans l’ensemble de ses compétences, mène des évaluations approfondies des patients, répond aux consultations, surveille et adapte la pharmacothérapie, donne des conseils aux patients et aux collègues et peut prescrire de manière indépendante ou en collaboration avec d’autres professionnels de la santé. Au cours de 13 entrevues menées avec des pharmaciens cliniciens canadiens (principalement des pharmaciens hospitaliers; n = 8), un solide mentorat, une motivation interne et un choix parmi divers cheminements professionnels approuvés ont été recensés comme des facteurs importants qui ont amené les participants aux entrevues à devenir des pharmaciens cliniciens. En particulier, ils ont noté le mentorat comme un facteur critique ayant contribué à façonner leur pratique. À l’instar de l’étude mentionnée précédemment5, l’environnement externe et un soutien approprié sont considérés comme les facteurs les plus importants dans le développement d’un pharmacien clinicien7.

Une façon possible de mettre au point des environnements externes favorables consiste à mettre en place un système national unifié d’accréditation qui indique une pratique pharmaceutique de haut niveau au Canada. Un tel processus a été étudié en Australie et au Royaume-Uni, où des cadres pour la pratique pharmaceutique avancée ont été définis8,9. En Australie, de tels cadres ont été soutenus par la Society of Hospital Pharmacists of Australia’s Advanced Training Residencies10. Les stages offerts par cette société proposent une voie d’accréditation pour le développement de la spécialité dans un domaine de pratique ou une spécialité précise conformément à l’étape 2 (le niveau de « consolidation ») du Cadre national de normes de compétence pour les pharmaciens en Australie (National Competency Standards Framework for Pharmacists in Australia)11. De tels stages sont offerts depuis 2020 et sont idéals pour les praticiens avec 3 à 7 ans d’expérience fondamentale en pharmacie hospitalière10. Des parcours structurés similaires pourraient être envisagés au Canada afin de s’assurer que les pharmaciens souhaitant se perfectionner en tant que pharmaciens cliniciens sont soutenus dans leur parcours.

Parmar et al.7 ont également identifié l’incertitude liée au rôle au sein de la profession elle-même comme un obstacle majeur à l’avancement de la profession. Ils soulignent que la vision d’avenir pour les pharmaciens était incertaine, voire absente, au Canada7. Cette préoccupation n’est pas nouvelle et est d’ailleurs soulevée par des pharmaciens du monde entier depuis de nombreuses années. Par exemple, en réponse à cette préoccupation, la section Pharmacie hospitalière de la Fédération internationale pharmaceutique (FIP) a organisé la Conférence mondiale sur l’avenir de la pharmacie hospitalière en 2008 à Bâle, en Suisse12. La FIP est l’organisme mondial qui représente plus de 4 millions de pharmaciens, de scientifiques pharmaceutiques et d’éducateurs pharmaceutiques par l’intermédiaire de ses plus de 150 organisations pharmaceutiques nationales membres13. Lors de la conférence de 2008, la section Pharmacie hospitalière de la FIP a élaboré les Déclarations de Bâle : un ensemble de déclarations consensuelles reflétant une vision globale unifiée de la pratique de la pharmacie hospitalière12. Les déclarations mettent fortement l’accent sur l’innocuité des médicaments et décrivent la participation des pharmaciens hospitaliers à l’approvisionnement; leurs influences sur la prescription, la préparation et la livraison, l’administration et le suivi de l’utilisation des médicaments; ainsi que le rôle des ressources humaines, de la formation et du perfectionnement12,14. Les Déclarations de Bâle ont été régulièrement actualisées pour refléter les pratiques actuelles14, la dernière révision étant à l’ordre du jour du Congrès FIP de Brisbane en septembre 202315. J’encourage tous les pharmaciens hospitaliers à contribuer à ces mises à jour et à s’assurer que les apprentissages de leur pays soient entendus et reconnus dans le monde entier15. Bien que la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux ne soit pas un membre organisationnel de la FIP, elle a déjà contribué à la révision des Déclarations de Bâle. D’après ce travail, je crois que les pharmaciens du monde entier partagent plus de points communs que de différences, et une réflexion constante sur les pratiques internationales garantira à nos patients de recevoir les meilleurs soins pouvant être fournis par les pharmaciens.

Références

1 Yuksel N, Eberhart G, Bungard TJ. Prescribing by pharmacists in Alberta. Am J Health Syst Pharm. 2008;65(22):2126–32.
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2 Expanded scope of practice: Minor ailments 2023. Ontario College of Pharmacists; [consulté le 4 août 2023]. Disponible à : https://www.ocpinfo.com/practice-education/expanded-scope-of-practice/minor-ailment/

3 UTI program now permanent in Qld [communiqué de nouvelles]. Pharmacy Guild of Australia; 2022 Oct 12 [consulté le 1er juillet 2023]. Disponible à : https://www.guild.org.au/news-events/news/forefront/v12n10/uti-program-now-permanent-in-qld

4 Poh EW, McArthur A, Stephenson M, Roughead EE. Effects of pharmacist prescribing on patient outcomes in the hospital setting: a systematic review. JBI Database System Rev Implement Rep. 2018;16(9):1823–73.
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5 Almawed R, Shiu J, Bungard T, Charrois T, Gill P. Pharmacist prescribing at inpatient discharge in Alberta. Can J Hosp Pharm. 2023;76(4):275–81.

6 Finn S, D’arcy E, Donovan P, Kanagarajah S, Barras M. A randomised trial of pharmacist-led discharge prescribing in an Australian geriatric evaluation and management service. Int J Clin Pharm. 2021;43(4): 847–57.
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7 Parmar R, Legal M, Dahri K, Wilbur K, Shalansky S, Partovi N. Pathways to developing clinical pharmacist practitioners: is there a better way forward? (Path-CPP). Can J Hosp Pharm. 2023;76(4):302–8.

8 The RPS advanced pharmacy framework (APF). Royal Pharmaceutical Society; 2013 [consulté le 4 août 2023]. Disponible à : https://www.rpharms.com/resources/frameworks/advanced-pharmacy-framework-apf

9 Jackson S, Martin G, Bergin J, Clark B, Stupans I, Yeates G, et al. An advanced pharmacy practice framework for Australia. Pharmacy (Basel) 2015;3(2):13–26.
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10 Advanced training residencies. Society of Hospital Pharmacists of Australia; 2023 [consulté le 4 août 2023]. Disponible à : https://www.shpa.org.au/workforce-research/residency/advanced-training

11 National competency standards framework for pharmacists in Australia. Pharmaceutical Society of Australia Ltd; 2016 [consulté le 4 août 2023]. Disponible à : https://www.psa.org.au/wp-content/uploads/2018/06/National-Competency-Standards-Framework-for-Pharmacists-in-Australia-2016-PDF-2mb.pdf

12 International Pharmaceutical Federation. The Basel Statements on the future of hospital pharmacy. Am J Health Syst Pharm. 2009;66(5 Suppl 3): S61–6.
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13 Qui sommes-nous? [page Web]. Fédération internationale pharmaceutique; 2023 [consulté le 1er juillet 2023]. Disponible à : https://www.fip.org/about

14 Vermeulen LC, Moles RJ, Collins JC, Gray A, Sheikh AL, Surugue J, et al. Revision of the International Pharmaceutical Federation’s Basel Statements on the future of hospital pharmacy: from Basel to Bangkok. Am J Health Syst Pharm. 2016;73(14):1077–86.
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15 Basel Statements: the future of hospital pharmacy practice. Fédération internationale pharmaceutique; 2023 [consulté le 1er juillet 2023]. Disponible à : https://www.fip.org/basel-statements


Jonathan Penm, BPharm (Hons), GradCertEdStud (Higher Ed), Ph. D., FHEA, FSHP, FFIP, avec l’École de pharmacie, Faculté de médecine et de la santé, Université de Sydney, Sydney, Australie.

Conflits d’intérêts : Pour des activités non liées à cet éditorial, Jonathan Penm a reçu une subvention du Medical Research Future Fund (gouvernement australien). Il a également reçu des honoraires de consultation (payés à l’Université de Sydney) de la Fédération internationale pharmaceutique (section Pharmacie hospitalière). Aucun autre conflit d’intérêts n’a été déclaré.


Adresse de correspondance: Dr Jonathan Penm, School of Pharmacy, Faculty of Medicine and Health, The University of Sydney, A15, Science Road, Camperdown NSW 2050, Australie, Courriel: jonathan.penm@sydney.edu.au

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Canadian Journal of Hospital Pharmacy, VOLUME 76, NUMBER 4, Fall 2023